L’Irlande du Nord commémore les 50 ans du début des «Troubles»

Derry, ville à majorité catholique en Irlande du Nord, reste marquée par la période des « Troubles » jusque sur ses murs à l'entrée de la ville. [Fra,ck Dubray/Ouest-France]

En Irlande du Nord, la paix est revenue. Mais avec le Brexit, « on risque de repartir 30 ans en arrière », alerte Estelle Epinoux, chercheuse à l’université de Limoges, pour notre partenaire, Ouest-France.

Les « Troubles » en Irlande du Nord ont fait 3 480 morts. Entre 1968 et les accords dits du Vendredi Saint en 1998, la province britannique va connaître une véritable guerre civile. La marche qui a eu lieu à Derry le 5 octobre 1968, il y a 50 ans, est considérée comme le début de cette période sombre, marquée par les attentats et les actes de violences entre communautés protestantes et catholiques.

La question du rétablissement des frontières entre Irlande du Nord et sa voisine du sud est un des points les plus épineux des négociations autour du Brexit. Le retour des guérites de contrôles pourrait raviver les tensions entre communautés alors que la situation politique est complètement bloquée dans la province.

Estelle Epinoux, est chercheur en civilisation irlandaise à l’université de Limoges.

Pourquoi a lieu cette marche des catholiques nord-irlandais en 1968 ?

Depuis l’indépendance de l’Irlande en 1921, il y a une véritable discrimination qui est mise en place à l’encontre de la communauté catholique. Les années 1960 marquent une prise de conscience politique de ce qu’il se passe et une mobilisation en faveur des droits civiques des catholiques se met en place. Certains chercheurs de l’époque comparent ce qu’il se passe en Irlande du Nord à la situation en Afrique du Sud et parlent de « Black Irishs ».

Il y a une discrimination à l’encontre des catholiques tant au niveau du vote, que de l’accès à l’éducation et au logement. Or, le système électoral de l’époque lie logement et droit de vote, alors que plusieurs familles pauvres catholiques vivent sous le même toit et ne peuvent donc pas toutes voter.

Certains protestants vont prendre part à ce mouvement, estimant que ce n’est pas plus possible d’avoir une société à deux vitesses. Ils représentent les catholiques au Parlement pour les soutenir et les défendre.

Cette marche marque le début des « Troubles »…

Ce mot est utilisé pour minorer ce qu’il se passait durant cette période : une véritable guerre civile. Il faut imaginer les attentats, les quartiers qui se ghettoïsent, des murs sont érigés pour séparer les communautés, il y a des check points, des couvre-feux parfois…

Il faudra attendre 1998 pour mettre fin à ce cycle. Des organisations de débats réfléchissent à la manière dont on va trouver une issue à cette violence et un respect des deux identités. Tony Blair va remettre en marche le processus de paix en profitant de la Devolution et la création d’un parlement en Écosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord.

Avec le Brexit, la question d’une réunification de l’Irlande resurgit

Le casse-tête de la frontière irlandaise après  le Brexit, toujours irrésolu, a amplifié le soutien au maintien dans l’Union européenne en Irlande du Nord et fait resurgir la question d’une réunification entre cette province britannique et la république d’Irlande voisine.

C’est aussi à Derry, quatre ans plus tard, que se déroulent les événements du « Bloody Sunday »

Le film « Bloody Sunday » de Paul Greengrass, réalisé en 2002, décrit assez bien cet événement de 1972. Ce n’est pas anodin qu’un Anglais revienne sur cette marche qui aura fait 13 morts, dont sept adolescents. Il y met en évidence que ce sont les Anglais qui ont tiré sur la foule.

Il a fallu attendre 2011 avec le comité Saville pour qu’il y ait une demande de pardon de l’État britannique, reconnaissant que quelque chose d’anormal s’était passé. Jusque-là, la faute était sur les épaules des Irlandais.

Malgré l’absence actuelle de gouvernement, la situation reste calme pour le moment, mais combien de temps ?

Il y a un risque clair de retour en arrière. Le Parlement ne fonctionne plus depuis plusieurs mois. Il n’y a plus de rencontres entre les différents protagonistes politiques nord-irlandais. À Londres, Theresa May dirige un gouvernement branlant car elle a besoin du soutien des unionistes protestants du DUP. Elle ne peut pas faire ce qu’elle veut si elle veut continuer à bénéficier du soutien des Nord-Irlandais.

La situation entre communautés n’a jamais vraiment été apaisée totalement. En 2010, 80 nouveaux « murs de la paix » pour séparer les quartiers catholiques et protestants ont été construits par exemple. Une partie de la jeunesse désœuvrée s’en remet très vite à la violence et on a toujours un système divisé, les écoles intégrées sont très peu nombreuses. Il reste des quartiers où il existe de la violence. L’Ira est en train de se réorganiser, tout comme les forces loyalistes. On est dans une situation assez critique.

À cela s’ajoute la sortie du Royaume-Uni de l’UE…

Une majorité s’est exprimée en Irlande du Nord au moment du référendum sur le Brexit pour le maintien dans l’Europe. Si une frontière revient avec un « Brexit dur », cela va être terrible car ce sera le retour des guérites.Cela risque de faire revenir la province à la situation d’avant 1998. Ce serait un recul terrible.

L’accord du Vendredi saint prévoit qu’il serait possible pour le peuple nord-irlandais de décider d’organiser un référendum quand bon il lui semblera pour décider si la province rejoint la République d’Irlande, si elle intègre complètement le Royaume-Uni ou si elle décide de sa propre indépendance. Or depuis 2011, les changements démographiques font qu’il y a autant de catholiques que de protestants, même si tous ne sont pas en âge de voter. La situation est en train de basculer.

Les derniers sondages suggèrent qu’il y aurait un mouvement graduel en faveur d’une unité avec la République d’Irlande.

Barnier : « ce qui crée le risque en Irlande, c’est le Brexit »

Vingt ans après l’accord de paix en Irlande du Nord, Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit pour l’Union européenne, fait de cette question un point central de la négociation sur le Brexit. Une interview accordée à plusieurs journaux européens dont  notre partenaire Ouest-France, mais aussi La Repubblica, Süddeutsche Zeitung, Le Soir, El Espanyol.

>> Lire sur Ouest-France. 

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